
31 Mai Autour du campus MIL, un secteur en pleine effervescence
Voilà une quinzaine d’années, le coin ne payait pas de mine. Usines abandonnées, petites maisons d’ouvriers, garages et terrains vacants jalonnaient ce qui est resté un véritable labyrinthe, où les rues bifurquent et finissent en culs-de-sac, coupées par la voie ferrée.
Mais aujourd’hui, ce district mystérieux, aux abords du futur emplacement du campus MIL de l’Université de Montréal, montre un nouveau visage. Surnommé «Mile-Ex», enclavé entre le chemin de fer du Canadien Pacifique à l’ouest, la Petite Italie à l’est, la rue Beaubien au sud et la rue Jean-Talon au nord, il est en pleine reconversion.
Puisque l’immobilier y était moins cher que dans le Plateau voisin, les bâtiments industriels et résidences ont été pris d’assaut par ce qu’il convient d’appeler la «classe créative». Des architectes et designers audacieux y ont fait construire des maisons de style contemporain et des lofts, tandis que des promoteurs immobiliers visionnaires ont investi dans des reconversions qui ont attiré des entreprises numériques, incubateurs et PME à la recherche de grands espaces industriels ouverts et lumineux convenant parfaitement à leurs besoins.
Moment Factory – la multinationale québécoise des environnements multimédias immersifs – y a déménagé ses pénates l’an dernier, dans une ancienne imprimerie de 45 000 pi2 accueillant 250 employés. Plus récemment se sont ajoutés le studio de jeu vidéo Behaviour et ses 400 employés ainsi que Triotech, un développeur d’expériences multisensorielles interactives comptant une centaine d’employés.
«Nous avons choisi ce quartier pour plusieurs raisons, raconte Christian Martin, vice-président au marketing chez Triotech: il nous fallait des ateliers industriels avec de hauts plafonds pour y tester nos manèges. Nous cherchions aussi un endroit situé près de stations de métro, de pistes cyclables, de stations de Bixi. Le fait que nous sommes dans un quartier cool et où les loyers sont moins chers qu’au centre-ville vient en prime.» Quand arrive le temps de recruter du personnel qualifié, le milieu de vie devient un avantage concurrentiel.
Adresses branchées et esprit de partage
Alors qu’il y a 15 ans peu de gens s’aventuraient dans le quartier à moins d’y habiter, actuellement, c’est ici qu’on trouve les adresses les plus branchées de la ville.
«Quand nous avons ouvert nos portes, nous espérions afficher complet à midi, mais pas le soir. À présent, notre clientèle du soir vient de l’extérieur du quartier et même de New York», dit le copropriétaire du restaurant Manitoba, Simon Quentin. Le restaurant est aussi engagé dans la communauté. Il projette notamment de convertir des terrains vacants en jardins pour offrir des ateliers de cuisine et de jardinage.
D’autres acteurs ouvrent des galeries d’art, un salon de barbier, des cafés, des bars… points de rassemblement de cerveaux créatifs.
Les promoteurs qui ont investi des millions de dollars pour rénover les anciennes usines de textile ou de transformation alimentaire ont misé gros avant de trouver preneur. Bruce Burnett, président d’Andrev Gestion et Consultation, propriétaire de l’immeuble commercial de style loft L’Esplanade, indique qu’il a dû attendre trois ans avant l’arrivée de ses premiers locataires. «J’étais convaincu que le Mile-Ex serait le prochain quartier en vogue. J’avais vu ce qui se faisait dans des quartiers semblables à New York. Maintenant, c’est le campus MIL qui nous rattrape!»
Ce qui est différent dans ce quartier, mentionne-t-il, c’est l’émergence d’un esprit de partage. «Ici, on mise sur les cerveaux, pas juste sur de l’argent facile à gagner», déclare celui qui a quand même vu le prix de la surface au pied carré quintupler en 10 ans.
Des artistes et des scientifiques créatifs
L’industrie du divertissement numérique n’est pas seule à occuper les bâtiments industriels reconvertis, précise M. Burnett: les locataires travaillent dans une variété de secteurs: technologies médicales, sciences environnementales, innovations sociales, transport, publicité, design, architecture. PME et entreprises en démarrage louent leurs propres locaux ou profitent des services d’incubateurs et de centres d’innovation qui offrent de l’espace de travail partagé (coworking) et du soutien à l’entrepreneuriat. Des développements immobiliers similaires sont prévus dans la zone au nord du futur campus MIL, appelée «zone Beaumont».
Selon une récente étude réalisée par le consultant Credo, qui brosse un tableau de l’écosystème montréalais de 2016, les environs du campus MIL figurent parmi les trois foyers de la ville hébergeant la plus forte concentration d’entreprises en démarrage.
«Cette zone se distingue du centre-ville et du Vieux-Port et Vieux-Montréal par des loyers plus abordables, sa vie de quartier et son offre d’aires de travail collaboratif», fait remarquer l’un des auteurs de l’étude, Yann Pazzini, analyste chez Credo.
L’importance de la mixité
Chez PME Montréal/Centre-Est, un organisme paragouvernemental qui propose de l’accompagnement et du financement aux petits entrepreneurs et les aide à s’implanter, on est convaincu que la mixité du quartier est un de ses grands atouts. «Ce mélange de résidentiel, de commercial et d’industriel léger représente une combinaison gagnante pour le développement du territoire», souligne le directeur Jean-François Lalonde. Les jeunes entrepreneurs aiment le côté déstructuré de ces zones. Et ils aiment habiter des endroits où ils pourront se rendre à pied au travail, au restaurant ou dans les commerces faire leurs courses. La Ville et les arrondissements (Rosemont–La Petite-Patrie, Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension) soutiennent cette vocation dans les règlements de zonage, ajoute-t-il.
C’est donc dans ce terreau fertile que s’installe le campus MIL qui, rappelons-le, hébergera notamment le Complexe des sciences (soit les départements de chimie, physique, sciences biologiques et géographie), un centre d’innovation, le pavillon de génie physique de Polytechnique Montréal, une bibliothèque, une école primaire, des logements et des espaces verts.
«Nous n’aurions pas pu mieux choisir, croit Frédéric Bouchard, nouveau doyen de la Faculté des arts et des sciences de l’UdeM. Un milieu devient beaucoup plus riche lorsqu’il est mixte et diversifié.»
Mandat d’enrichir la communauté
Dès le départ, la direction de l’Université de Montréal s’était donné pour mandat de créer non seulement un lieu d’enseignement, mais aussi un milieu de vie inspirant et ouvert, où la présence de centaines d’étudiants, de chercheurs et d’activités transformerait et enrichirait la communauté désenclavée par le projet.
Des liens se tissent déjà entre l’Université et cette pépinière de fabriques à créativité. Un incubateur comme L’Esplanade, qui accueille des OSBL, coopératives ou entreprises en démarrage (start-ups), a comme locataires des diplômés de l’UdeM qui viennent de lancer des spin-offs de leurs recherches.
Ce mouvement s’accentuera, prévoit Frédéric Bouchard.
Vers le futur quartier de l’innovation
Quoi qu’il en soit, l’Université de Montréal voit le quartier du campus MIL comme le point central d’un écosystème d’innovation qui contribuera notamment à faire de Montréal «la capitale du numérique au Canada».
«Il faut créer des masses critiques de talents qui iront manger dans les mêmes restaurants, prendre un verre dans les mêmes bars, travailleront, étudieront, vivront dans le même quartier… L’innovation dépend des échanges d’idées, affirme Frédéric Bouchard. Préparons-nous. Le bouillonnement créatif ne fait que commencer.»
Suzanne Dansereau
Collaboration spéciale